A partir du 24 septembre sera débattu à l’Assemblée Nationale le projet de révision de la loi de bioéthique. Les évêques de France, par la voix de Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des Évêques de France, de Mgr d’Ornellas, responsable pour les évêques de France des questions de bioéthique, et de Mgr Aupetit, archevêque de Paris, ont tenu à exprimer clairement leur opposition à plusieurs mesures de ce projet porté par le gouvernement[1]. Comme évêque de Versailles, je m’associe pleinement à leur déclaration et j’invite tous les catholiques du diocèse à en prendre connaissance, à s’en saisir et à la relayer autour d’eux.
En tant qu’évêques, nous devons éclairer les consciences, surtout quand la dignité des personnes est en jeu, en particulier celle des plus fragiles.
J’invite chacun, croyant ou non, à mesurer les graves transgressions portées par cette révision de la loi de bioéthique. Avertir sur leurs lourdes conséquences ne revient ni à juger, ni à condamner ceux qui y sont favorables ou qui y auraient recours. Rien ne nous empêchera de nous réjouir de toute vie naissante : toute nouvelle vie est une bonne nouvelle et un don de Dieu. Nous aurons toujours à cœur d’accueillir chaque personne, chaque famille telle qu’elle est et de l’accompagner dans ce qu’elle vit.
La procréation médicalement assistée (PMA), réservée jusqu’à présent aux couples homme-femme, pose de vraies difficultés éthiques[2] sur lesquelles l’Église s’est déjà prononcée avec clarté. Étendre cette possibilité aux couples de femmes ou à des femmes seules constituerait une nouvelle et grave transgression :
- au niveau de la filiation : le désir – certes sincère – des adultes passe avant le bien de l’enfant qui se voit imposer la privation de son père.
- au niveau de la médecine : on ne demande plus à celle-ci de soigner ou de réparer une pathologie – en l’occurrence l’infertilité d’un couple homme-femme – mais de répondre à l’injonction de satisfaire un désir individuel.
Lever le critère d’infertilité par la loi, accroître la technicisation de la procréation et la soumettre peu à peu à la loi du marché semble consacrer un droit à l’enfant et bientôt à l’enfant parfait. L’enfant risque de ne plus être reçu comme un don avec son caractère propre et ses fragilités, mais comme un dû.
L’argument de l’égalité invoqué pour justifier cette révision de loi ne tient pas. Le Conseil d’État l’a souligné[3]. Il ouvre inévitablement à la légalisation de la Gestation Pour Autrui (GPA) pour accéder demain au désir tout aussi sincère de couples d’hommes d’accéder à la parentalité.
Consacrer la « toute puissance » du désir individuel, parce qu’il serait sincère, ne peut que nous entraîner vers de nouvelles dérives et fragilise le bien commun. Nous avons besoin de repères structurants pour notre société, de repères qui protègent les plus faibles. Ce projet de loi les abîme encore un peu plus.
Apprenons à accueillir ensemble ces limites liées intimement à notre condition humaine. Elles nous rendent vulnérables et donc dépendants les uns des autres : elles sont un appel à la fraternité et au soutien mutuel. Elles nous invitent à rechercher d’autres chemins de dons et d’autres fécondités.
Au-delà de l’ouverture de la PMA, ce projet de loi comporte d’autres propositions aussi graves : la dérégulation accrue de la recherche sur l’embryon, (qui entraîne sa destruction), et la fragilisation des règles qui encadrent le recours au Diagnostic Pré-Implantatoire (DPI) ou le recours à l’Interruption Médicale de Grossesse (IMG). La tentation d’un eugénisme feutré est désormais bien présente. Un progrès technique est un véritable progrès s’il demeure réellement au service de l’homme et du bien commun.
Notre foi chrétienne ne nous fait pas délaisser les affaires de la Cité. Au contraire, le service du bien commun et la promotion de la dignité de la personne humaine sont au cœur de la vocation de tous. Aussi j’encourage tous les catholiques du diocèse de Versailles à se mobiliser et à s’engager dans ce sens si ce n’est déjà fait. Il ne me revient pas de définir la forme que cet engagement doit prendre. Cela appartient au discernement personnel. C’est justement la responsabilité et la liberté de chacun, comme chrétien et comme citoyen, d’inventer les façons concrètes les plus justes de promouvoir ce bien commun et de le défendre.
Il est important que chacun prenne le temps de se former, pour être capable d’expliquer aux amis, collègues, proches ce qui est en jeu dans cette loi et les raisons de notre opposition. Chacun se fera ainsi éveilleur de consciences, tout en veillant à former la sienne.
Il me semble enfin essentiel d’inviter nos élus à garantir les repères fondamentaux de notre société.
Mais au-delà du débat politique, il nous faut offrir toujours davantage le témoignage crédible de notre vie, de la vie de nos familles et de nos communautés, pour toucher les cœurs et les intelligences de ceux qui nous entourent. Nous servirons ainsi une véritable prise de conscience pour une « bioéthique globale[4] » (Pape François) qui doit nous apprendre un authentique respect de « toute la vie et de la vie de tous ». Une « écologie humaine intégrale [5] » qui prend soin de tout l’homme et de tout homme, en soulignant la primauté reconnue aux plus fragiles et aux plus pauvres.
La prière restant la source de la fécondité de tous nos engagements, j’invite aussi les catholiques du diocèse à prier avec ferveur pour que les digues qui demeurent tiennent encore, que se lèvent ceux qui reconstruiront celles déjà abattues, et que les consciences de nos gouvernants se laissent éclairer.
Nous ne cherchons pas une victoire politique, nous parlons et agissons pour les générations qui viennent, pour préserver ce qui doit demeurer, par fidélité à ce que nous sommes et avons reçu. Le Christ ne nous demande pas de « gagner » mais de servir. C’est notre seule motivation. Demain prouvera qu’il était important de ne pas y renoncer.
Monseigneur Eric Aumonier,
Évêque de Versailles pour les Yvelines
19 septembre 2019
[1] Revoir « Bioéthique : les positions de la Conférence des évêques de France » diffusée le 16/9/19
[2] Relire l’Instruction « Donum vitae » de 1987, publiée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
[3] « Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes (….) Les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe. » Décision n°421899, 28 septembre 2018
[4] Message à l’Académie Pontificale pour la Vie, 25 juin 2018
[5] Idem